Compte-rendu journée Faire recherche avec les enfants – 28 juin 2024

 

L’objectif de la journée consistait à présenter un rapport, intitulé « Se mettre en recherche avec des enfants » (rédigé pour l’Institut des Sciences humaines et sociales du CNRS, désormais rebaptisé CNRS Sciences humaines & sociales) et ouvrir un espace de débat et de partage d’expériences autour des questions abordées dans ce rapport.

La journée a commencé par un tour de présentation de chacun·e, puis du rapport. Cela a également été l’occasion d’aborder ses prolongements avec le Journal qui a la volonté d’expliquer les grands axes du rapport au grand public ainsi que l’exposition Espèce d’expo qui a inauguré son 3ème temps d’ouverture le lendemain à la Cité des Arts de la rue. Enfin, les trois invité·e·s ont partagé leurs expériences de recherche en écho aux questions soulevées dans le rapport.

Une vingtaine de personnes d’horizons variés (chercheurs, doctorants, masterandes, stagiaires de 2nd, artistes, personnes actives dans l’Académie d’Aix- Marseille, personnes issues du milieu associatif) ont été présentes tout au long de la journée pour de riches échanges autour des enjeux soulevés par le fait de « faire recherche avec les enfants ».

Présentation du rapport « Se mettre en recherche avec des enfants » et échanges

Le rapport a été rédigé dans le cadre du dispositif « les méthodologies des sciences partagées 2023 » du CNRS (InSHS). Il est construit à partir d’une mise en dialogue avec différentes personnes qui se sont engagées dans des recherches avec des enfants. Le rapport est le résultat d’échanges qui ont été menés pendant 4 mois. Certaines personnes et structures ayant participé à la rédaction du rapport n’ont pu être présentes lors de la journée. Il s’agit de The Human and the city for social research, basé au Caire (Égypte), de PRAGMA(quartier de la Belle de mai, Marseille).

Le rapport aborde la question du droit à la libre expression pour les enfants, il s’interroge sur la manière dont il est mis en mouvement dans les recherches avec les enfants. Habituellement, le travail avec les enfants est mobilisé pour transmettre les outils des chercheurs avec les enfants, ou pour les étapes d’analyse des résultats. Mais force est de constater que peu de choses ont été produites sur le fait de faire émerger une recherche dès le départ avec les enfants. Le rapport cherchait alors à rendre visible les microéléments des différentes expériences. Plutôt que de donner des recettes, il attire l’attention sur différents points de vigilance dans les recherches avec les enfants.

Partage d’expériences

Elsa Zotian est anthropologue de l’enfance, membre du laboratoire de sciences sociales appliquées (LASSA).

Elle met en évidence le fait que les projets présentés dans le rapport sont des projets qui créent des espaces de parole pour les enfants ou tentent de les créer. Dans le rapport les principes méthodologiques sont posés (légitimité de la parole, lieux, ritualisation, accueil, alternance des modes d’expression…). Se pose alors la question de la participation équitable des enfants dans les espaces, ainsi que des questions éthiques (par exemple que fait-on lorsque les enfants mettent en œuvre les uns avec les autres des rapports de domination ?).

Une thématique traverse les différents projets : celle de la place des émotions qu’il est intéressant de questionner dans la mesure où nous nous inscrivons dans un contexte où la culture du débat, du partage des émotions et du faire ensemble est très peu présente à l’école.

Elsa Zotian présente alors deux projets de recherche.

Le premier porte sur une enquête réalisée en collaboration avec Julia Hénin, membre du Tamis, en petite section de maternelle autour de la question : « qu’est-ce qu’on attend d’un enfant en petite section de maternelle ? ».

Ce travail met en exergue le fait que la petite section de maternelle a pour but d’apprendre aux enfants l’acquisition du sens de soi, à être un individu dans un groupe. Les enfants y apprennent à se reconnaître avec un prénom et un genre, avoir un sens de la propriété individuelle (son manteau, la paire de chaussures…), acquérir une conception individuelle du travail (ex : ne pas autoriser un enfant à dessiner sur le dessin d’un autre, faire marquer son prénom sur chaque dessin réalisé), etc. La pédagogie Montessori, qui inspire nombre de pratiques enseignantes en PS, se matérialise par un face à face entre les enfants et des objets. Parallèlement, les pratiques de coopération à cet âge ne sont pas du tout sollicitées ou travailler par les équipes éducatives. L’évaluation individuelle des compétences, aujourd’hui pratiquée dès la maternelle, n’encourage pas de tels dispositifs didactiques.

Cette enquête permet de se poser les questions suivantes : pourquoi la question de la coopération entre enfants arrive-t-elle dans un second temps dans la manière dont on apprend aux enfants à être élève ? Dans quelle mesure cette faible place accordée à la coopération participe-t-elle au fait que les enfants ont une culture du faire ensemble, du débat et de la prise de décision collective assez faible à l’école ?

Elsa Zotian a ensuite présenté un projet d’évaluation du programme « plus fort », financé par l’Agence régionale de la santé (ARS), qui vise au développement des compétences psycho-sociales dans les écoles publiques des quartiers « politique de la Ville » de Marseille. Elle insiste sur la méthodologie mise en place (focus groupes avec les enfants) dans le cadre de cette évaluation. Elle montre que les interactions dans les focus groupes sont révélatrices du niveau d’acquisition de compétences psycho-sociales par les élèves. Ainsi, elle a pu observer dans certains groupes, des enfants qui ne se coupaient pas la parole, parvenaient à exprimer leurs ressentis, les associer à une situation rencontrée et se

sentir assez à l’aise pour l’exprimer en public, ne pas juger leurs pairs et accepter l’altérité dans le débat. Dans d’autres groupes au contraire, les enfants ne cessaient de se couper la parole, de se moquer les uns des autres, les plus dominants monopolisant la discussion. Cette évaluation qualitative a permis de montrer la puissance transformatrice, dans les espaces de paroles inter-enfantins, de programmes de développement des compétences psycho-sociales, à condition de donner réellement aux équipes pédagogiques la possibilité d’inscrire de tels programmes dans le projet d’établissement et la culture professionnelle de leurs écoles.

Elsa Zotian conclut alors sur l’enjeu de la participation des enfants dans un contexte de développement des dispositifs publics visant à recueillir leurs avis et leur donner une place citoyenne, tels que les conseils municipaux d’enfants. S’appuyant sur l’expertise développé par le LaSSA sur ces questions, elle invite à ce qu’on en interroge collectivement différentes dimensions : l’utilité de tels projets d’abord (à qui, à quoi le projet participatif va-t-il servir ?), ensuite la question de la rétribution, du contre-don, de la temporalité (qui décide de la temporalité ? Est-ce le bon moment, pour qui ?). Enfin et surtout, elle souligne l’importance de la question de ce qui est fait des revendications exprimées par les enfants par les adultes mettant en place de tels dispositifs, en premier lieu les élus. Il y a là pour elle un enjeu éthique majeur dès lors qu’on prétend prendre au sérieux la parole des enfants : Comment fait-on ou non évoluer l’action publique en fonction de ce qu’ils expriment ? Solliciter leur parole, leurs avis et leurs désirs sur des questions aussi importantes que leur place dans la cité ou la préservation de la biodiversité sans être clair avec eux sur ce qui pourra ou non être fait, et/ou rien en faire in fine relève d’une forme de malhonnêteté politique qui s’autorise des rapports de domination adultes-enfants. Intégrer ce type de questionnement dans les démarches participatives auprès des enfants est selon elle primordial. Elle pointe l’outil que peut constituer l’échelle de la participation proposée par Roger Hart pour aider les adultes à mettre en œuvre une réflexivité éthique dès lors qu’ils souhaitent faire participer les enfants à un projet.

Jean-Paul Thibeau se définit comme méta-artiste, coordinateur des protocoles méta, des méta-ateliers et des méta-skholè.En 1974, il a créé le service éducatif du centre d’art contemporain de Bordeaux, et dans la continuité voulait créer un laboratoire pour faire avec les enfants. Il a alors créé un laboratoire entre 1983-1985 sur l’infra-verbal des artistes et des enfants-autistes.

Il convoque d’abord le travail réalisé dans le cadre de l’association « la source du lion » dans un parc laissé à l’abandon à Casablanca et des projets successifs jusqu’à ce que le lieu soit réhabilité et transformé en plateforme d’expérimentation, puis « Think Tanger » à Tanger, dans lesquels une micropolitique des goupes s’est développée pour créer et gérér des dispositifs de parités.

Il revient ensuite sur une recherche en cours depuis 2 ans avec des enfants (6 à 10 ans) dans des quartiers de Carpentras. Le travail part d’un centre social dont il a fallu convaincre le directeur que les arts plastiques peuvent intéresser les jeunes au-delà du cinéma et du sport. Il se base sur l’idée de partir d’une tiers culture, c’est-à-dire qu’au lieu de mettre à l’honneur les pratiques culturelles de certains habitants, les activités sont inspirées de l’Asie, en s’appuyant sur un local commercial implanté en centre-ville : « La cité interdite », siège de l’association « Vents d’Asie », et ses adhérents ; sans compter la fascination actuelle des jeunes pour le Japon (manga), la Corée (k-pop), etc. Les sessions se passent pendant l’été, il s’agit d’accueillir une vingtaine d’enfants et de proposer des projets de découverte d’un cadre naturel qui permettent de faire se croiser des population très différentes. La question de l’hospitalité est très importante, en partant de l’idée que nous ne sommes pas tous égaux mais inégaux les un·e·s et les autres. Cette année, c’est la question de l’usage de l’eau en Camargue et des rivières qui est traitée. En amont, le projet a permis d’interroger la place pour les parents (notamment les mères) dans les activités. Toute personne qui participe du projet doit mettre la main à la pâte. Cela a permis aux enfants d’observer faire leurs parents et vice-versa. La question des risques est alors fortement remontée et a pu être débattue. La première session s’est construite sur l’idée d’un repas flottant, les participants agençaient des éléments (offrandes alimentaires) sur l’eau. La deuxième session portait sur la fête du soleil du centre social. Le prochain moment qui sera mis en place portera sur un déplacement physique à l’extérieur. La restitution se fait en octobre au moment du MomijiKoyo « la fête de l’automne », dans une grande chapelle avec des expérimentations sur la thématique « cheminement de l’eau ». Des premières années, le constat d’une plus grande mixité est fait. Des personnes qui ne s’autorisaient pas à entrer dans certains lieux (chapelle, boutiques du centre-ville, etc.), le font désormais. Son intervention a donné lieu à un débat sur la nécessité de changer de référentiel.

Pascal Nicolas-Le-Strat est maître de conférences en sciences de l’éducation à Paris 8, chercheur au laboratoire Experice.

À la lecture du rapport le premier aspect qui ressort à son sens c’est que le travail avec les enfants « ça ne pardonne pas ». On peut très vite fléchir en termes de vigilance et tomber dans le « comme si », d’où l’importance de l’insistance pour arriver à la coopération. Il propose de dialoguer autour de trois vignettes de recherche :

La première porte sur un travail réalisé à la Cité la Bourgogne à Tourcoing avec notamment Louis Staritzky. Ils sont amenés à travailler avec la catégorie des politiques publiques « les décrocheurs scolaires ». Il y a une dynamique de co-production de la recherche : il n’y a plus de dispositifs, d’objectifs, mais il y a un lieu. Ça fait bouger tout l’imaginaire (l’accueil, l’hospitalité…). Le lieu est associé à l’accueil inconditionnel. Les chercheurs tentent d’écrire ou d’anticiper le moins de choses possibles. La deuxième expérience s’est déroulée dans le quartier des Franc-Moisins en région parisienne avec une association de femmes pour raconter leur histoire : « Vous êtes plusieurs, vous vous souvenez, il y a une trace, un paysage qui s’inscrit ». Il mobilise des techniques conviviales qui sont toujours auprès de la praxis.

Enfin, il présente une recherche en cours à la Cité (Gabriel) Péri, à Saint-Denis autour du projet de construire le centre social sous la forme d’une coopérative. Les « femmes de Péri » sont coopératrices, à côté de la municipalité de St Denis et d’autres associations. Les chercheurs viennent d’installer une proposition de recherche sous la forme d’une permanence, essayant de se glisser dans les activités du lieu, toutes les 3 semaines. Les femmes de Péri disent « nous on fait recherche ». L’enjeu est de comprendre quel est ce « faire recherche » qu’elles revendiquent. S’offrir une disponibilité, prendre le temps, en partant du du motif « récit de vie, récit de ville ». Un élément se construit, celui du récit de vie d’une salle associative gérée de manière indépendante par les locataires. Proposer du travail en généalogie, poser une question et voir comment elle évolue dans le temps. Il insiste sur les écritures produites au fil de la recherche (brochures et textes qui ne sont pas intimidants, recherche d’une écriture plus littéraire, plus en images…)

En conclusion, il insiste sur un élément : en regard de la dégradation de nos milieux de vie, est-ce que la recherche aide à faire face, mieux se mobiliser, mieux vivre ?

Pour aller plus loin:

Nicolas Le Strat, P. (2024) Faire recherche en commun; chroniques d’une pratique éprouvée. Éditions du commun.

Thibeau, J.-P. (2021) Prologue aux protocoles méta et aux congrès singuliers. Éditions du Brame.

Zotian, E. (2021) Apprendre le « sens de soi » en petite section de maternelle. Revue des politiques sociales et familiales, 138, 25-40. https://doi.org/10.3917/psf.138.0025

Compte-rendu rédigé par Alice Lancien

 


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Nadja Monnet (10 septembre 2024). Compte-rendu journée Faire recherche avec les enfants – 28 juin 2024. Prendre place : bienvenue jeunesses! Consulté le 9 juillet 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/129q5


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